Gestion de Crise remarquable en Corée vue de la France

Reportage sur la gestion de crise Covid en Corée, interview d’Ida Daussy, administratrice de la FKCCI

Covid-19 : pourquoi la Corée s'en est si bien sortie ?

Par Philippe Li (avocat, président honoraire de la Chambre de commerce et d’industrie franco-coréenne)

Publié le 18 mars 2020

 

Alors que l'Europe est en train de grimper vers un pic épidémique, la Corée semble sortir progressivement de la crise. C'est que le pays a une gestion très différente de l'épidémie, à la fois dans la communication des pouvoirs publics, les comportements des populations, le dosage des ressources mises à disposition, mais aussi le traitement des données personnelles pour endiguer la contagion.

Tout a commencé en Chine et en Corée. L'Europe observait alors avec effarement la propagation exponentielle du coronavirus, qui frappait ces deux pays. Aujourd'hui, c'est l'inverse. L'Asie semble s'en sortir progressivement, alors que l'Europe plonge.

Fortes des expériences accumulées lors des épidémies récentes du SARS et du MERS, la Chine et la Corée disposaient d'une expérience et d'une logistique qui leur a permis de s'organiser très rapidement et de mener des tests dans des proportions massives. Les problèmes de pollution grandissants ces dernières années ont également conduit depuis longtemps les populations à prendre l'habitude de porter des masques.

Un élan populaire

Si on observe ce qui s'est passé en Corée, la question du dosage des ressources mises à disposition et du ton le plus adéquat dans la communication gouvernementale s'est posée très rapidement. Les autorités coréennes ont fait le choix d'une communication transparente et sans ambages, mais sans dramatiser outre mesure. Elle a également permis de créer un effet mobilisateur, alors même que la décision avait été prise de ne pas tout confiner, sauf pour les écoles.

On peut, bien sûr, se dire que la discipline collective crée une forme de prédisposition civique en Asie qu'on ne peut pas imaginer transposer telles quelles en Europe, même dans un contexte de crise. Cependant, cela n'explique pas tout.

En Corée, le mode de mobilisation a permis de susciter un élan populaire pour se persuader qu'on ne devait pas subir, mais combattre le coronavirus. Face au coronavirus, on ne parle pas de guerre, mais de remporter la victoire, comme s'il s'agissait, pour la nation, de monter une équipe pour une grande compétition. A aucun moment, nous n'avons eu le sentiment que l'anxiété ambiante pouvait mener au désarroi.

Il faut également évoquer une problématique dont on parle finalement assez peu, qui est celle de la régulation des mouvements de personnes et la gestion de la promiscuité.

Extrême densité urbaine

La Corée, comme la plupart des pays asiatiques, est familière de ces sujets, en raison de l'extrême densité humaine que l'on y trouve. On est moins sensible à ce type de problématique en Europe, mais les circonstances font qu'il faut maintenant y réfléchir concrètement. Très peu de temps après l'irruption du virus, le gouvernement avait décidé d'imposer des horaires décalés à de nombreuses administrations en faisant passer les heures de travail de 9-18 heures à 10-19 heures. Cette tendance a également été observée dans les entreprises, avec un recours massif au télétravail, mais également des horaires alternés ou décalés. Dans les restaurants d'entreprise, la disposition des tables a été modifiée pour éviter d'avoir un vis-à-vis.

Dans un autre ordre d'idées, les bureaux de vote ouvrent toujours en Corée à 6 heures du matin, quelle que soit la nature de l'élection. Cela peut paraître insolite, vu de l'extérieur, mais cela n'a rien d'étonnant dans le contexte coréen. Ce dispositif permet de donner plus de fluidité aux votes et de réduire les files d'attente.

Un autre pan du dispositif que la Corée a également su déployer pour se protéger vise le traitement des données personnelles. Cela n'a rien d'étonnant quand on connaît l'importance du numérique dans ce pays, mais cela l'est plus quand on sait que la Corée est dotée d'une des réglementations les plus strictes au monde en la matière.

Lorsqu'un nouveau cas de coronavirus est déclaré, une alerte est automatiquement envoyée par SMS à toutes les personnes résidant dans la même commune que le patient et le traçage de son itinéraire durant les derniers jours est également accessible sur le site de la commune, ce qui permet à chacun de savoir s'il a pu être en contact avec le patient.

Face au coronavirus, une coordination entre Etats est primordiale, mais il appartient aux populations d'être capables d'empoigner littéralement les choses, de déroger à leurs habitudes de manière drastique, et de savoir se montrer pratiques et toujours être en mesure de s'adapter.

=> https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-covid-19-pourquoi-la-coree-sen-est-si-bien-sortie-1186526

 

Coronavirus: en Corée du Sud, la mobilisation exceptionnelle porte ses fruits

Par Sébastien Falleti

Publié le 14 mars 2020

 

Technologie, test à grande échelle, transparence, et mobilisation des habitants sont les ingrédients de la stratégie volontariste adoptée par le pays pour endiguer l’épidémie.

Les smartphones vibrent à l’unisson dans l’habitacle du bus filant en trombe, et aussitôt les yeux en meurtrière dépassant des masques se plongent vers les écrans. Un nouveau malade vient d’être testé positif au coronavirus dans le quartier huppé d’Hannam-dong, niché au cœur de Séoul, annonce une notification de la municipalité, ce 12 mars. Comme un seul homme, chacun consulte avec anxiété l’itinéraire détaillé du patient de peur d’avoir croisé ses pas ces derniers jours.

Ce Polonais de 35 ans de retour d’un voyage en Europe, avait pris le train rapide reliant l’aéroport international à la capitale sud-coréenne le 10 mars vers 9 h 30 heures du matin, avant de passer à la supérette et de se reposer l’après-midi chez lui, dévoilent les données publiées par les autorités sanitaires. Vers 18 heures l’homme va dîner à la Pizzeria d’Buzza avant de se rendre dans la supérette voisine une heure plus tard. «J’ai un peu peur car je suis allé dans un café juste en face à ce moment-là», explique Sohyun, 33 ans.

Depuis l’arrivée du coronavirus sur la péninsule, le 20 janvier, le quotidien des 50 millions de Sud-Coréens est rythmé par ces alertes envoyées par les municipalités où ils résident, les invitant à appeler le numéro 13 39 dès le moindre doute. Un à un, l’itinéraire des plus de 7700 malades est reconstitué grâce aux interrogatoires des patients et les données de terminaux de cartes bancaires. Celui-ci est dévoilé au grand jour par les autorités au nom de la «guerre» contre l’épidémie déclarée par le président Moon Jae-in.

Nous ne mettrons pas en péril les droits de l’homme et la confidentialité des patients

Jeong Eun-kyeong, directeur général du Korea Centers for Disease Control and Prevention (KCDC)

La démocratique et high-tech Corée du Sud a recours au big data pour tracer le virus au plus près, et confondre les malades qui camoufleraient leur mal, mettant en danger leur entourage. Avec en ligne de mire la secte Shincheonji, dont les adeptes suivent une stratégie prosélyte en cachant leur identité, et sont à l’origine de l’explosion de l’épidémie, représentant à eux seuls 60 % des malades dans le pays, essentiellement dans la ville de Daegu, surnommée le «Wuhan coréen», à 300 km au sud de la capitale. Seul le nom des malades reste confidentiel, dans cette opération de transparence qui fait grincer des dents chez certains, pointant une atteinte à la vie privée, prenant même la main dans le sac des couples adultères. «Nous ne mettrons pas en péril les droits de l’homme et la confidentialité des patients», a juré Jeong Eun-kyeong, le directeur général du Korea Centers for Disease Control and Prevention (KCDC) qui pilote la campagne contre le Covid-19 comme une opération militaire.

Campagne de tests à grande échelle

Technologie, test à grande échelle, transparence, et mobilisation des habitants sont les ingrédients de la stratégie volontariste adoptée par le pays du matin calme, pour endiguer la maladie venue de la Chine voisine. La quatrième économie d’Asie, adepte du «pali pali» («vite vite») n’a pas traîné face à la menace et récolte aujourd’hui les fruits de ses efforts après plusieurs semaines d’alerte «rouge».

Sans prendre de mesure de blocus à la chinoise, ni mettre son économie à l’arrêt, le pays semble endiguer la menace d’une épidémie à l’échelle nationale

Jeudi, le nombre de nouveaux cas détecté est tombé à 110, la progression la plus faible depuis deux semaines, et essentiellement concentré dans les foyers méridionaux à 300 km de la capitale Séoul, toujours relativement épargnée avec 225 cas. Sans prendre de mesure de blocus à la chinoise, ni mettre son économie à l’arrêt, le pays semble endiguer la menace d’une épidémie à l’échelle nationale. «La courbe est en train de s’aplatir. C’est un modèle remarquable de lutte énergique et ciblée contre l’épidémie, en maintenant les libertés publiques», juge un haut diplomate européen en poste à Séoul, le distinguant des méthodes autoritaires menées par Pékin. Les autorités refusent de crier victoire, et redoublent de vigilance, en particulier concernant les voyageurs arrivant d’autres régions infectées, dont l’Europe, désormais considérés comme une menace prioritaire. «Il est trop tôt pour être optimiste», a déclaré Moon, qui doit faire face à des élections législatives délicates le 15 avril et subit les foudres de l’opposition conservatrice.

Le spectre d’une épidémie silencieuse hors du foyer de Daegu, demeure, mais la tendance à la baisse continue des nouveaux cas, malgré la découverte d’un nouveau «cluster» de malades dans un centre d’appels de la capitale en début de semaine, est encourageante. En quelques heures, les proches des 90 nouveaux patients ont été contactés un à un et testés, et la tour de bureaux comme la station de métro désinfectées.

Les statistiques ont d’autant plus de crédit que la Corée du Sud a mené une campagne de test à grande échelle sans équivalent en Europe. Le pays a déjà testé plus de 210.000 personnes, avec une capacité de 18.000 tests par jour, loin devant l’Italie, record pour le Vieux Continent avec 50.000 tests. Une prouesse logistique rendue possible par la mobilisation de l’appareil industriel et un investissement social massif, car le test est pris en charge pour toute personne jugée «à risque». Une approche systématique qui accouche du taux de mortalité le plus faible du monde, à 0,6 %, bien en dessous de ceux de l’Italie ou de la France ou de la Chine.

La mobilisation vigilante de la population au quotidien, qui prend la menace du virus au sérieux, mais avec calme, est l’autre atout d’une nation habituée à vivre à la merci de l’artillerie de sa rivale la Corée du Nord. «La crise fait partie de la culture coréenne», juge Philippe Li, avocat au cabinet Kim & Chang, où la moitié des employés sont en télétravail, et les réunions ajournées depuis des semaines.

Devant les pharmacies les longues files d’attente disciplinées s’étirent en quête des masques en rupture de stock, accessoire désormais indispensable au quotidien dans cette nation de tradition confucéenne, où le bien du groupe passe avant l’individu. Chacun porte un flacon de gel hygiénique dans la poche et les cafés et boutiques sont désinfectés régulièrement. «Le principe de précaution s’est installé au quotidien, mais la vie continue. Les Coréens s’inquiètent désormais plus de la situation en Europe, ou de l’effondrement de la bourse», explique Philippe Li. Le décrochage de la croissance mondiale, menace d’un effet boomerang le pays, fortement exposé au vent de la mondialisation. La crise sanitaire menace d’accoucher d’une autre sur le front économique.

=> https://www.lefigaro.fr/international/coronavirus-en-coree-du-sud-la-mobilisation-exceptionnelle-porte-ses-fruits-20200313

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