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[Corée Affaires 113] Interview: Jungwon Shin, Président de TotalEnergies en Corée

[Corée Affaires 113] Interview: Jungwon Shin, Président de TotalEnergies

1. TotalEnergies est présent en Corée du Sud depuis 1985 et opère aujourd'hui trois filiales et deux joint-ventures. Quelles sont les opportunités qui ont poussé l’entreprise à s'implanter localement ?TotalEnergies est présent en Corée du Sud depuis 1985 et opère aujourd'hui trois filiales et deux joint-ventures. Quelles sont les opportunités qui ont poussé l’entreprise à s'implanter localement ?

Comme vous le savez, la Corée n’est pas un pays riche en ressources énergétiques, avec 93% de ses besoins énergétiques importés, pour soutenir une industrie manufacturière axée sur l'exportation. Ainsi, sa consommation est assez élevée par rapport aux autres économies développées avec 5,8 Mtep/habitant en moyenne.

Habituellement, TotalEnergies est fortement présent dans les pays producteurs d'énergie. Mais la Corée est un pays important pour nous en termes d'investissements et d’approvisionnement multi-énergies telles que le GNL, le pétrole et tous les produits dérivés du pétrole, ainsi que les énergies renouvelables.

Le plus gros investissement que nous avons fait sur la Péninsule était en 2003 pour former une joint-venture 50:50 avec Samsung, puis avec Hanwha en 2015. Du côté des lubrifiants, nous avons initialement formé en 2003 une JV avec ISU Chemicals, transformée en 2008 en JV avec S-OIL dans les lubrifiants utilisés pour l'industrie et l'automobile. 

Plus récemment, nous avons investi dans l'industrie éolienne offshore avec le Macquarie Green Investment Group, où SK Ecoplant nous a maintenant rejoint en tant que partenaire local. Notre développement suit l'évolution du marché local de l'énergie, le gouvernement ayant fixé un objectif ambitieux de décarbonation dans sa NDC pour 2030 et une stratégie Net Zero d'ici 2050. Il existe donc de nombreuses opportunités pour nous de développer les énergies renouvelables : l'éolien offshore en priorité, suivi par l'éolien terrestre et le solaire.

 

2. Vous avez mentionné que votre lancement le plus récent est dans le domaine de l'éolien en mer grâce à l'obtention de licences pour 2,3 GW de capacité estimée en Corée. Quels critères examinez-vous principalement lors de la réalisation de ces projets ?

Nous avons d'abord effectué des mesures concernant la force du vent, évalué les politiques gouvernementales, puis examiné le tissu industriel local. En effet, l'industrie éolienne offshore nécessite une chaîne d'approvisionnement très solide, et avoir des partenaires locaux fiables est essentiel pour pouvoir réaliser ces projets. Globalement, quand on regarde la Corée parmi les autres pays asiatiques, nous l'avons sélectionnée comme pays très prometteur, notamment grâce à ses politiques gouvernementales incluant des subventions via son système REC.

 

3. Quels sont les principaux obstacles à l'entrée sur le marché coréen ?

Dans l'industrie éolienne en mer, les principales difficultés sont les longs processus d'autorisation administrative et l'acceptation du public via une médiation qui doit être menée par les développeurs.

Comme point de départ, nous devons obtenir la licence commerciale d'électricité - Electricity Bunisess License ou EBL. Ensuite, nous procédons à l'étude d'impact sur l'environnement, passons par différentes étapes avec des accords de construction, et ainsi de suite. Dans notre cas, nous avons obtenu notre premier EBL en 2021 et projetons notre premier projet en exploitation vers 2028. Je pense que si le gouvernement central supervisait et facilitait la charge de travail administratif avec la création d’un guichet unique, le délai pourrait être considérablement réduit.

 

4. Qu'en est-il des autres technologies telles que l'hydrogène, la capture du carbone et le solaire ?

Nous prévoyons de développer l'approvisionnement en hydrogène, car la demande sera croissante en Corée. Il y a deux domaines prometteurs dans ce cadre - la production d'électricité et la mobilité - et les pouvoirs publics ont lancé pour la première fois cette année un appel d'offres lié à l'électricité à base d'hydrogène. Cela concernera dans un premier temps la production d’électricité à partir d’hydrogène gris, qui devrait être peu à peu remplacé par de l’hydrogène bleu et vert. L'enjeu sera donc de développer l'approvisionnement en hydrogène bleu et vert, un secteur dans lequel nous sommes déjà bien présents dans des pays comme les États-Unis ou l'Australie.

Quant à la capture du carbone, un projet pilote voit le jour en Corée alors qu'il est déjà en phase commerciale en Europe. Localement, nous étudions les moyens de développer des services d'exportation de CO2, dans le cadre desquels le carbone rejeté par la Corée pourrait être stocké et injecté à l'étranger dans un gisement de gaz épuisé par exemple. C'est le genre de modèle que nous envisageons parce que la Corée ne possède pas suffisamment de capacité de stockage. Mais il faudra un certain temps avant de trouver un modèle commercial viable.

Enfin, l'énergie solaire est également un domaine prometteur, mais le principal enjeu est l'accès à la terre, car 70 % du territoire coréen est couvert de montagnes. Les possibilités de développer des projets à grande échelle commerciale sont donc très limitées. Il y aurait plus de potentiel si le gouvernement déverrouillait les terres salées, qui sont des zones côtières ne convenant pas à l'agriculture. L'énergie solaire sur les toits des grands complexes industriels semble également prometteuse.

 

5. Depuis le début de la crise énergétique mondiale sans précédent, plusieurs pays ont dû relancer la production d'électricité à partir du charbon, tandis que le gaz, qui devait jouer un rôle majeur en tant « qu’énergie de transition », voit aujourd'hui sa fiabilité remise en cause. Quel est votre point de vue sur la question ?

Nous sommes en effet dans une situation anormale créée par la guerre déclenchée par la Russie contre l'Ukraine, qui a entravé l'approvisionnement stable en GNL. La Corée du Sud, comme l'Europe, est très touchée par la situation et poussée à sécuriser des volumes stables d’approvisionnement en GNL. En Corée, environ 80 % de l'approvisionnement en gaz est assuré par des contrats à long terme. Ainsi, en volume, l'offre est moins affectée, mais le pays est très exposé à la volatilité des prix.

Toutefois, je pense que le gaz continuera de jouer un rôle essentiel dans la transition à l’échelle internationale. La Corée s'est fixée pour objectif ferme d’arrêter ses centrales électriques au charbon. Quant à TotalEnergies, nous avons arrêté toute activité liée au charbon depuis 2014.

 

6. En tant que géant français de l'énergie, quelles synergies le groupe peut-il entretenir ou développer avec les acteurs industriels locaux ?

Les chaebols coréens n'ont pas besoin d'investissements étrangers dans la plupart des domaines. Mais l'éolien offshore est l'un des rares domaines où ils n'ont pas encore investi de manière significative, apportant ainsi des opportunités pour les développeurs étrangers.

En tant que développeur étranger, nous ne pouvons pas y arriver tout seul : un partenaire coréen est absolument nécessaire car il a une bonne compréhension de la situation locale, y compris sur les questions de réglementations et de chaines d’approvisionnement locales. Dans l'ensemble, nous apportons nos capacités technologiques et financières et les exploitons au mieux grâce à cette expertise locale.

 

7. Les politiques bas-carbone de la Corée sont-elles suffisamment ambitieuses ?

L'objectif NDC pour 2030 en Corée est supérieur à celui de l'Europe ou d'autres pays. La principale question est de savoir comment y parvenir. Notre perspective est en ligne avec les objectifs de la péninsule de maintenir un approvisionnement énergétique fiable, comme le GNL, et maintenant l'électricité verte et l'hydrogène. Nous développons également des activités à faible émission de carbone grâce à nos actifs comme Hanwha-TotalEnergies, qui va utiliser de plus en plus des matières premières organiques, des graisses animales ou de l'huile de cuisson usagée, pouvant être utilisées pour produire du carburant d'aviation durable et des matériaux recyclés tels que l’huile pyrolytique ou des polymères recyclés.

Globalement, nous nous transformons en une entreprise multi-énergies pour devenir un acteur majeur de la transition énergétique, engagé vers la neutralité carbone d’ici 2050 en ligne avec la société, alors que par le passé, notre modèle économique était centré sur le pétrole et le gaz.

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