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[Corée Affaires 111] Concurrence, souveraineté, éthique : quand le métavers nous met au défi

[Corée Affaires 111] Concurrence, souveraineté, éthique : quand le métavers nous met au défi

Les grandes transformations digitales liées au métavers, aussi fascinantes que vertigineuses, nous mettent au défi sur de nombreux plans.

D’abord, sur la sémantique. Si l’étymologie du métavers, néologisme du mot univers auquel on a ajouté le préfixe « méta » signifiant « au-delà », semble limpide, l’interprétation du terme ne fait pas l’unanimité. Né de la science-fiction en 1992 dans le roman de Neal Stephenson intitulé Le Samouraï Virtuel, le métavers était alors défini par l’auteur comme l’espace virtuel en 3D dans lequel ses personnages pouvaient se rendre sous forme d’avatar. Ce concept a ensuite été largement exploité par les industries du cinéma et du jeux vidéo, dans le film Ready Player One de Steven Spielberg et Matrix du duo Wachowski, ou encore sous la forme des MMORPG, ces jeux de rôle massivement multijoueurs tels que World of Warcraft. L'usage du mot n'a aujourd'hui pas grand-chose à voir avec son origine. Certains acteurs, comme Facebook rebaptisé Meta[1], l’envisagent comme le successeur du web : un ensemble d'espaces virtuels interconnectés dans lesquels les utilisateurs peuvent partager des expériences immersives allant au-delà du divertissement, jusqu’au travail, à l’éducation, au commerce, …. « Il n’y a pas de frontières claires », nous confie Andrew Ku, co-fondateur d’ALTAVA, « mais le métavers est différent du monde virtuel et du jeu vidéo dans le sens où c’est une économie interopérable, tokenisée, persistante, et malléable basée sur un réseau décentralisé ».

Cette difficulté à définir le métavers et les technologies associées à la blockchain induit des enjeux sur le plan juridique et in fine les politiques publiques. Dans le cas du NFT par exemple, aucune réglementation à ce jour ne statue directement sur le NFT en France comme en Corée, et il est difficilement qualifiable du point de vue du droit de la propriété intellectuelle. Il implique également des risques liés au blanchiment d’argent par son opacité, sa mobilité et sa confidentialité.

« En achetant sur les plateformes de réalité virtuelle, les personnes physiques seront amenées à transmettre aux vendeurs des données personnelles plus nombreuses et d'un type nouveau », écrit Anne Cousin, avocate spécialisée en droit du numérique, en prenant l’exemple des données physiologiques lors de la création d’avatars à son image. Un défi de taille pour le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) qui devra être « respecté dans un contexte beaucoup plus complexe qu'aujourd'hui ». Alors que la Commission européenne a adopté en décembre dernier une décision d’adéquation pour le transfert des données personnelles de l’Union Européenne vers la Corée du Sud, le métavers ajoutera une nouvelle dimension à cette libre circulation des données. « La Corée a une réglementation plus stricte que l’Europe pour empêcher l’accès aux cryptomonnaies à des personnes non-identifiées et pour surveiller (certification ISMS) les fournisseurs « d’asset virtuels » par l’autorité régulatrice d’Internet, KISA. Dans le cas du métavers, l’objectif de la Corée est de prendre le temps de légiférer, et de manière sûrement plus fermée que ce que l’on pourra connaître ailleurs pour faire émerger des champions au niveau local. », nous indique Julien Provenzano, co-fondateur de RALFKAIROS et spécialiste en innovation et cybersécurité en Corée.

Les enjeux de souveraineté numérique et de concurrence sont sans doute les points les plus sensibles de cette révolution digitale. Par la complexité technique du métavers qui nécessite des capacités technologiques dans de multiples domaines (3D, VR, AR, …) ainsi que des infrastructures réseau importantes, on peut anticiper que les GAFAM, qui partent avec un temps d’avance par leur pouvoir acquis sur la version actuelle du web, pourront asseoir leur domination sur le marché. L’acquisition de l’éditeur de jeux Activision Blizzard par Microsoft annoncée en janvier pour la coquette somme de 68,7 milliards de dollars, opération hors-norme la plus importante jamais menée par la société américaine, en est un des exemples. « Aujourd’hui, le monopole des GAFAM sur la vie économique et numérique fait déjà de ces entreprises des quasi-États. Elles en ont en tout cas la puissance économique, qui commence déjà à s’étendre aux sphères politiques, financières et sociétales. L’émergence du métavers permettrait de relier alors tous ces domaines et donnerait le contrôle aux GAFAM sur les données professionnelles, sociales, privées, financières de nos vies. », écrit Matthias Hauser, analyste au Portail de l’Intelligence Economique. Une question vitale pour les Etats, quand, dans un futur proche, une partie importante de la population pourrait devenir des « émigrés » des mondes virtuels qui deviendraient une nouvelle forme d’organisation sociétale, impliquant un nouveau territoire et interrogeant la notion de frontière.

Ces considérations vertigineuses entraînent de nombreuses questions d’ordres philosophique, éthique et social : les droits fondamentaux s’appliquent-ils aux avatars virtuels ? Peut-on rester autonome alors que nos mouvements sont contrôlés par un programme informatique ? Une vie virtuelle est-elle une « vraie » vie ? Les inégalités sociales au sein du métavers ne se reproduiraient-elles pas ? Et la fracture numérique ne ferait-elle pas qu’aggraver celles entre réel et virtuel ?

Des questions qui alimentent les voix s’élevant contre le principe du métavers, d’autant plus qu’une identité numérique unifiée pourrait signifier plus de failles en termes de sécurité. « L’intensification prévisible des échanges humains et commerciaux sur le métavers démultiplie les risques pour les Etats, les entreprises et les consommateurs en matière de hacking, de fraude, de fuites de données, mais aussi de désinformation », nous indique Julien Provenzano. « Le métavers nécessitera un grand niveau de confiance. Ainsi, l’enjeu sera de savoir qui aura la capacité et la légitimité de sécuriser l’ensemble des interactions et transactions réalisées sur ces mondes virtuels », ajoute-t-il.

Sans parler du plan écologique enfin à l’heure où le numérique représente 4% des émissions de gaz à effet de serre, risquant de doubler d’ici 2025. Certes il reste à faire le calcul avec les économies faites sur le plan réel (coûts de transport, etc.), mais on peut anticiper une tension accrue sur la consommation de ressources, d’autant plus que le caractère abstrait de la pollution numérique rend l’action écologique plus difficile.

Les nouvelles ambitions de ces mondes visant à digitaliser tous les aspects de nos vies rendent légitime le fait de penser que le métavers pourrait prendre le pas sur le réel, alors que jusqu’ici il venait le compléter. « Pour l’instant, nous sommes dans le pic du hype cycle décrit par Gartner[2] mais reste à voir où est-ce que le métavers apportera une véritable valeur ajoutée. Il faudra par exemple réussir à dépasser les problèmes d’interface humain/machine que nous avons rencontrés avec la VR et l’AR et jamais réglés depuis près de 30 ans, comme l’impact sur la santé. Si ce n’est pas le cas, le métavers restera un marché de niche », analyse Julien Provenzano.

Réglementer les technologies émergentes n’est pas une tâche facile, mais, à l’avenir, les entreprises, les gouvernements et les législateurs devront s’engager via le respect de principes et la création d’une « méta-juridiction » à protéger l’autonomie, la dignité, l’égalité et la communauté humaines dans le métavers, tout en prenant en compte les enjeux de santé, de cybersécurité et d’écologie.

 


[1] En octobre 2021, Le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg introduisait Meta, marque plaçant le métavers au cœur de la stratégie d’expansion du groupe

[2] Célèbre courbe par l’entreprise de conseil Gartner décrivant l'évolution d’adoption pour une nouvelle technologie.

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