La Grande Interview - Laurent Petitgirard

Laurent Petitgirard, compositeur, chef d’orchestre, Président de la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique)

Parlons de vos projets musicaux en Corée : vous êtes venu pour diriger, le 10 mai au Seoul Arts Center, un concert de musique française avec le Korean Symphony Orchestra, ainsi que pour une création avec le violoncelliste Yang Sung-Won. Comment se passe votre travail avec cet artiste de renommée internationale et particulièrement reconnu en France ? Et de manière générale, quel est votre rapport en tant que chef d’orchestre et créateur vous-même, avec la Corée ?

J’ai déjà beaucoup travaillé avec Yang Sung-Won, nous avons joué les grands concertos Edgar, Dvorak, Saint Saëns, etc. Il s’était toujours promis de jouer mon concerto pour violoncelle et orchestre. En musique, malgré le cadre strict du texte à respecter, chaque musicien apporte sa touche. Sung Won joue autant le grand répertoire classique que la musique contemporaine. Il en garde la curiosité, les réflexes, et c’est exactement ce que je souhaite pour interpréter mon concerto. Il est le dixième violoncelliste à jouer ce concerto qui a été créé en 1994 par Gary Hoffmann.
J’aime beaucoup la Corée, où je viens régulièrement depuis 20 ans. Il y a un public sensible et amateur. Une scène de musiciens très talentueux se crée depuis deux générations, avec des personnalités incontournables comme Yang Sung-Won et Chung Myung Won, et des jeunes talents comme Chang Han-Na qui a gagné le prix Rostropovich à 12 ans ! Je dirais qu’actuellement, un concours international sur trois est gagné par un Coréen. Ils ont un très bon niveau technique et une sensibilité beaucoup plus européenne que leurs voisins japonais, notamment. La preuve que l’image du musicien asiatique à la technique incroyable mais à faible capacité émotionnelle est un vrai cliché.

Par ailleurs, la SACEM – que vous présidez- et la KOMCA ont organisé le 11 mai un colloque sur les droits d’auteur. Quels étaient vos objectifs, pour cette rencontre franco-coréenne ? Quel bilan retirez-vous de cette rencontre ?

Il semblait que la Corée était sur le point d’adopter le système de la copie privée, qui permet de rémunérer les auteurs sur les espaces de stockage tels que les clés USB ou les disques vierges, sur lesquels les particuliers peuvent copier des œuvres pour leur usage privé. C’est une redevance comprise dans l’achat des supports de stockage.
Au moment où le cadre est en train de se mettre en place ici, nous trouvions intéressant de montrer où en est le droit d’auteur en France, et partager nos succès et difficultés avec les acteurs de l’industrie musicale coréenne. Plus un pays est fort dans la technologie, plus il va avoir une certaine méfiance vis-à-vis du droit d’auteur, qui peut être considéré comme un frein au développement de toute l’industrie technologique. Alors que souvent, cela représente une vraie richesse et c’est ce que nous souhaitions montrer. Notre surprise a été de découvrir qu’à la suite d’une récente élection, le député qui portait ce projet ayant été battu, le processus était gelé. Avec le soutien très efficace de notre ambassadeur nous avons pu alerter sur ce problème le Vice-Président du parlement coréen qui était venu ouvrir le colloque.

Quel est l’intérêt de la copie privée ? Comment fonctionne-t-elle ?

Son principe est simple : lors de l’achat d’un support de stockage (DVD ou CD vierge, clé USB, disque dur externe, tablette, smartphone etc.) une petite partie du prix payé par le consommateur rémunère les créateurs, les auteurs, les éditeurs, les artistes-interprètes, les éditeurs et les producteurs. Cette rémunération sert aussi à soutenir des manifestations culturelles partout en France. C’est un cercle vertueux parce 25 % des sommes collectées sont reversées à la culture, soit 55 millions sur les 220 millions d’euro collectés en France.
Il faut garder en tête que la copie privée, c’est la compensation d’un préjudice ; ce n’est pas une règle mais une exception à une règle. Le droit d’autoriser ou d’interdire la copie de son œuvre est dans la constitution française, mais la technologie a tellement avancé que les auteurs, compositeurs et producteurs n’ont plus les moyens de contrôler la diffusion de leur œuvre.

Prenons le smartphone : la partie « phone » ne représente qu’à peine 10% du prix ; le reste c’est « smart ». Et le « smart », c’est principalement les œuvres de l’esprit. Il faut que ceux qui profitent du partage et de la copie des œuvres de l’esprit participent à son financement. La copie privée, c’est un système vertueux, indolore et efficace. Elle représente à peu près 6% de nos recettes. Si demain elle s’arrêtait, ce serait un coup dur pour les créateurs.
En France, la copie privée est perçue par Copie France, et concerne les auteurs, les interprètes et les producteurs. Pour l’audiovisuel, chacun reçoit un tiers de recettes. Pour le sonore, ce sont 50% pour les auteurs, 25% pour les interprètes, 25% pour les producteurs.

Y a-t-il des éléments du modèle français de droit d’auteur dont la Corée pourrait s’inspirer ?

L’une des pratiques vertueuses de la copie privée en France est assurément d’y réserver une partie cultuelle.
Il est nécessaire aussi de développer la gestion collective, c’est-à-dire la création de société civile dans laquelle toute une corporation apporte ses droits. Cela permet de réglementer et d’harmoniser tous les droits d’artistes, les protégeant ainsi.
Le développement des sociétés de gestion collective, c’est le seul moyen pour que les artistes, producteurs, etc. gardent une force et une possibilité de négociation avec des groupes si importants que toute personne isolée, même célèbre, ne ferait pas le poids.

Nous avons découvert dans ce colloque que la perception du droit d’auteur coréen est handicapée par des exemptions aux conséquences néfastes, comme celle qui impose une surface minimale déjà très importante pour qu’un commerce diffusant de la musique puisse être assujetti.

L’industrie musicale aujourd’hui est confrontée à trois transitions majeures : du physique au digital, du PC au mobile, du téléchargement au streaming. Quels sont les impacts de ces changements sur les créateurs, les artistes ? 

Pour nous le problème, c’est la perte de valeur de la musique dans le monde légal. Le piratage est toujours important, il faut le combattre, mais il est moins nocif pour la musique que pour l’audiovisuel : c’est le désir du streaming continu qui domine maintenant. Tout vient gratuit ou compris dans des abonnements dans lesquels la musique n’a qu’une petite part. 1 000 000 de vues sur Youtube, cela parait impressionnant, mais cela ne représente que 60 euros, à partager entre tous les créateurs et éditeurs. Bien sûr, nous avons un contrat avec Youtube France, qui nous reverse 4.08% du chiffre d’affaires, mais la valeur France n’a rien à voir avec celle de Youtube et ce qui est négocié à Bruxelles.
Le streaming va apporter de nouvelles façons de fonctionner. Les zones de non-droit sont dangereuses. Le disque représentait un tiers des perceptions de la SACEM, maintenant, il est à 12%, tandis qu’internet ne génère que 6%.
Il y a de nos jours une surutilisation de la musique dont ses créateurs n’ont pas profité. Le problème, c’est qu’il y a des acteurs, comme les moteurs de recherche, qui font fortune en grande partie en faisant des liens vers des créations de l’esprit, mais ne rémunèrent pas les artistes.
Heureusement, face à ce monde dématérialisé, le spectacle vivant a pris de l’ampleur et compense ces pertes.

La Corée est l’une des industries musicales qui se porte le mieux au monde, avec une croissance de son chiffre d’affaires de 19,2% en 2015. Elle est souvent prise comme exemple de transition de la distribution physique à digitale. Comment expliquez-vous ce succès ?

En premier lieu, la technologie. La France est un pays qui a laissé partir sa technologie et ses fabricants. C’est un cercle vertueux : si vous êtes dans un pays qui fabrique les meilleures voitures de course pendant des années, vous aurez les meilleurs pilotes, les circuits et le public. La Corée est tellement à la pointe de la technologie que les deux éléments ont convergés : plus vous avez des outils formidables, plus vous avez des gens sachant bien les utiliser.

Le deuxième élément, selon moi, c’est que ce pays a compris que pour son marché intérieur, ils ont intérêt à promouvoir et à soutenir localement tout ce qui nourrit ces appareils et technologies : les œuvres de l’esprit. 

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