LVMH « Après COVID, la question de se lancer ou non dans l’omnicanal ne se pose plus »

Dans une interview exclusive avec Corée Affaires, Hyun Ouk Cho, président de LVMH en Corée, nous partage sa vision du futur du secteur du luxe.

Le groupe chef de file mondial des industries du luxe en termes de chiffres d’affaires (44,7 milliards d’euros en 2020), représente un portefeuille de plus de 75 marques établies dans 80 pays.

 

1. Comment les marques de luxe se positionnent-elles par rapport au boom du e-commerce ?

Il existe un paradoxe. Les entreprises du luxe se sont mises au e-commerce tardivement, et pourtant elles se placent en leader des innovations digitales. La question du e-commerce dans le luxe ne s’est posée pour la première fois qu’il y a 10 ans, et celle de l’omnicanal[1] il y a 5 à 7 ans.

Une idée a toujours persisté : celle que le luxe se démarque par la différenciation et que, par le e-commerce, il est difficile de maintenir non seulement une expérience client exclusive, mais aussi la notion de valeur. Par exemple, le client VIP est celle ou celui qui prend rendez-vous en avance et bénéficie d’un service client en tête-à-tête ; il n’a envie de rien mais finit par dépenser de grands montants sur des coups de cœurs.

Ainsi, certaines marques font encore de la résistance, alors qu´en réalité, le e-commerce atteint une nouvelle clientèle, qui ne concurrence pas les canaux traditionnels. Comme les sociétés continuent de fonctionner en silo, d’autres sont en avance telles que Louis Vuitton, Dior, ou Fendi. La marque Tiffany, par exemple, s’est mise à vendre des accessoires sur KakaoTalk Gift l’année dernière en Corée. Une première et un vrai succès car elle a enregistré une moyenne de 1000 à 2000 dollars par transaction, et a décidé de continuer sur ce segment.

Selon moi, après COVID, la question de se lancer ou non dans l’omnicanal ne se pose plus, nous parlons déjà de [2], de NFTs[3], …

 

2. Pouvez-vous nous donner des exemples d’innovations à venir dans l’industrie du luxe ?

 

LVMH est très impliqué dans les innovations technolo- giques. Nous sommes un des partenaires de référence du salon Vivatech, l’un des plus grands salons européens des startups et de la tech, depuis sa première édition en 2016. Cette année en juin, nous avons organisé dans ce cadre les « LVMH Innovation Awards » pour récompenser et accompagner des startups prometteuses parmi plus de 850 candidates du monde entier dans six catégories : omnicanal & expérience retail, médias & notoriété de marque, data & intelligence artificielle, opérations & fabrication d’excellence, expérience employée et enfin durabilité.

Parmi elles, certaines se positionnent dans le secteur de la vente virtuelle, en proposant des solutions de chat en ligne en live avec un vendeur (l’application HERO) ou encore de gamification avec avatar en 3D (l’application ADA) pour essayer des tenues et ensuite les acheter dans le monde virtuel ou dans le monde réel via un lien e-commerce. On observe une augmentation du taux de conversion et de rétention avec l’usage de la 3D et la simulation, car la gamification permet notamment de mettre mieux en valeur le produit, de le rendre beaucoup plus social, mais aussi d’être plus agile en proposant aux clients les der- nières créations montrées dans des défilés à l’autre bout du monde. Ainsi avec les nouvelles technologies de défilés virtuels par exemple, la Corée peut voir tout ce qu’il se passe à Paris quasiment en temps réel.

 

3. A cet égard, comment interagissent le virtuel et le réel ?

Le confinement causé par la pandémie a changé les per- ceptions : à quoi cela sert-il d’acheter un produit réel si on ne peut pas le mettre, alors qu’en un clic on peut le poster sur Instagram et atteindre le monde entier ? Acheter un vêtement, c’est aussi pouvoir le montrer, ce qui est d’autant plus vrai en Corée du Sud.

Mais le virtuel a toujours besoin du réel et vice-versa. Statistiquement, le client qui va directement dans une boutique achète beaucoup moins qu’un client qui fait des repérages en ligne puis qui va en boutique. On a également besoin qu’il n’y ait pas de coupure entre les deux mondes, c’est-à-dire que la qualité de service soit aussi bonne dans les deux cas.

Le « phygital »[4] et l’hybride proposent ainsi que nouvelles pistes que l’on explore. Dior en Corée a par exemple fait rentrer le virtuel en boutique en proposant un pop-up store à la fois en ligne et au grand magasin Shinsegae. Choisir dans quel grand magasin réaliser une telle opération a toujours été un casse-tête pour les marques, et la solution hydride y a apporté une solution.

Choisir dans quel grand magasin réaliser une telle opération a toujours été un casse- tête pour les marques, et la solution hydride y a apporté une solution.

 

4. Est-ce que vous envisagez LVMH Corée en tant que « test-bed » de ces innovations ?

J’y travaille car je suis convaincu que l’innovation réinvente notre industrie et attire de nouveaux clients. Je rencontre beaucoup de jeunes entrepreneurs qui ont du potentiel et de bonnes idées mais qui n’ont pas l’esprit marketing ou qui sont mal outillés. J’aimerais ainsi développer un centre d’incubation d’ici 3 ans en Corée.

Je sensibilise aussi nos marques et les grands magasins sur ces nouvelles technologies et des formats de boutiques innovants, permettant de maintenir une connexion privilégiée avec le client. Le e-commerce tout seul n’est pas intéressant. Il faut que les grands magasins renforcent leur stratégie de contenu et d’expérience client. Idéalement la relation entre grands magasins et marques du luxe devrait être un partenariat. Le grand magasin possède les infrastructures, tandis que les marques possèdent le contenu. Mais ils ont besoin de l’aide de nouveaux acteurs, issus de l’art, de l’Entertainment et des industries digitales.

En Corée, on a tendance à entretenir une vision du futur à court terme car le développement de l’industrie du luxe y a été trop rapide. L’année dernière, la plupart des marques ont enregistré une croissance à deux chiffres. Et il faut savoir qu’à contrario de l’Europe, le luxe en Asie, excepté le Japon, n’existe que depuis 30 ans. Quand je suis arrivé en Corée en 1994, il s’agissait plus de la vente de produits que de la vente du luxe et du service, alors qu’en Europe, on a des vendeurs plus expérimentés privilégiant la connaissance personnelle du client et le relationnel.

Il reste donc encore beaucoup à faire et c’est mon rôle d’insuffler une vision de long-terme.

 


[1] L’omnicanal désigne une nouvelle approche de la vente utilisant plusieurs canaux de vente et considérant l’ensemble du parcours client pour offrir une expérience complète et cohérente.

[2] Ce dit d’un monde virtuel fictif

[3] Le « Non-Fungible Token » ou NFT, désigne type spécial de jeton cryptographique qui représente quelque chose d'unique. Il permet notamment de vérifier la rareté numérique vérifiable. Dans l’industrie du luxe, un bien virtuel pourrait correspondre à un NFT.

[4] Le phygital consiste à réinventer le retail en réalisant des synergies entre l'univers physique d'une marque et l'univers virtuel.

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